Ça fait trop longtemps.
J’ai cru que je n’en saurais plus rien. J’ai cru que je ne trouverais plus jamais le temps. J’ai pensé un milliard de phrases qui se sont évanouies depuis.
Il y a eu, dans le
désordre :
Un enfant qui gémit comme
un animal blessé. Sa mère qui change de place dans le bus pour s’éloigner de
lui. Qui le frappe en sortant. Histoire qu’il se rappelle pourquoi les
pleurs.
Les (re)trouvailles,
les diners, les déjeuners, les minutes à se fondre, les réveils trop tôt,
toujours trop tôt.
Des toilettes
handicapées sans savon, attends il ne manquerait plus qu’ils aient en plus le
droit de se laver les mains correctement.
Les doutes, la peur,
les peurs, le présent, l’avenir. On ne peut pas se départir de tout, on ne peut
pas s’amputer d’un mode d’être ; bien sûr que j’ai peur, j’ai toujours
peur, à tous les temps…
Un concert manqué, une
place à vendre, une nuit d’hôtel, la neige, une soirée de rires, sauter sur le
lit, réveiller les voisins, être encore des enfants.
Des mots et des maux d’amour, des stylos, des feuilles, un tigrou, des lignes et des lignes et de la crème de carambar.
C’est trop intense parfois, trop intense pour qu’on puisse faire comme si, trop intense je vous dis, trop, trop.
Il me dit t’es la femme de ma vie, il me dit tout ça vous voyez, on est toujours tout ou rien, tout ou rien, sans compromis et sur le fil ; tout c’est trop et c’est le minimum, tout c’est énorme et pourtant on dit un tout petit peu. Il me raconte une histoire et j’ai un peu de mal à entendre que c’est la nôtre, il nous invente un avenir déjà, il nous invente, on s’invente, on se tisse vous voyez, on se tresse ensemble on s’entrelace. Alors bien sûr que j’ai peur. Moi j’dis toujours, j’dis toujours je veux je veux et puis voilà, maintenant il est là, maintenant. Et c’est moche d’avoir peur, moche de tressaillir, moche. J’ai jamais été très stable vous savez, jamais, l’équilibre c’est fragile, l’équilibre c’est danser sur une corde sans filet, moi je danse et je danse vacillante ; il me dit fais moi confiance et tu verras, oui, d’accord, je prends ta main mais c’est difficile. Difficile de glisser mes doigts entre les tiens, difficile de m’emmêler, difficile parce que j’ai l’impression de renoncer, renoncer à la liberté, renoncer à danser seule sur le fil. Faut que je m’habitue, que je me fasse à l’idée, faut que je retrouve le point d’équilibre tu vois, que je me leste un peu, qu’on vérifie les poids qu’on amène chacun sur la balance pour pouvoir supporter de vivre si intense. J’ai pas l’habitude, pas l’habitude de peser pour quelqu’un, pas l’habitude ; je le vois bien que tu prends des gants pour me dire, je le vois bien tu sais, t’es adorable et je trouve ça mignon, tu me dis jveux pas te faire peur ni me projeter trop loin dans l’avenir. Moi je me projette tu sais, moi je me projette et puis jle dis toujours c’est mon travail de projeter. Mais je me projette pas pareil, en fait j’en sais rien, j’en sais rien, tu me donnes du bonheur et je ne vois pas vraiment plus loin, même si ça me fait peur cette dépendance au bonheur, même si ça me fait peur pour plein d’autres choses aussi.
Je sais pas si je vais être à la hauteur tu sais, je sais pas si je suis capable d’encaisser du bonheur, je sais pas si je peux, j’ai été droguée aux coups durs moi, jsais plus si jsuis capable pour le sourire et la joie, jsais plus, je sais plus. Moi non plus je ne veux pas te faire peur, moi non plus, je ne veux pas te faire fuir, mais j’ai tout à apprendre moi, je dois tout recommencer du début, si tu veux, si tu veux bien me montrer, si tu veux bien m’apprendre comment c’est, être heureux plus long qu’un sourire.
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