Me replanter ici et y associer quelques mots.
Le printemps se réinstalle, lui
aussi, et si l’heure n’est pas encore ni aux fraises ni au grand ménage il y a
quand même quelque chose du même ordre. On en est toujours à s’appeler des
heures, et quand on me demande si cette différence d’âge ne me dérange pas je
réponds doucement que je suis bien et que je ne me pose pas la question. Bien
sûr. Même si y’a parfois ce décalage entre nous. Cette différence qui est
presque tangible ; mais ce n’est pas une question d’âge, juste
d’activités. J’en suis encore aux soirées étudiantes, aux prises de notes ou
pas, à réfléchir à mon diplôme, à l’orientation de mes études, à l’avenir,
à l’incertitude, à la direction que je veux emprunter, au temps qui passe, au
temps qu’on doit prendre, à celui dont j’ai besoin. Deux mois aujourd’hui. Deux
mois qui sont passés comme un éclair, deux mois qui ont filé bien vite, même s’ils
débordent un peu – ils débordent comme du lait sur le feu, ils débordent bien
plus qu’un peu en fait : d’amour, d’envies, de désir, de choses à faire et
de choses qui ne seront jamais faites, d’emplois du temps trop remplis, de
rires, de dates, ... Vous voyez c’est comme des poupées russes, un planning qui
déborde, pour une personne qui déborde. Déborder,
inonder, couler, submerger, envahir, dépasser, exploser, éclater, outrepasser,
affleurer, émerger, jaillir, répandre.
J’ai lu récemment ces quelques lignes qui m’ont renvoyée à moi-même, quelques lignes salutaires, quelques lignes que je dévore comme si je n’avais rien mangé depuis ces deux mois qui contiennent tout, cette parcelle de temps qui s’est défilée si vite qu’elle m’en donne le vertige…
« Les grands amoureux sont de grands oisifs. Ou de grands rêveurs.
Lamartine sur son lac, Musset à Venise, Chopin au piano, Albert Cohen,
fonctionnaire distrait… Ils n’allaient pas au bureau tous les matins, ceux-là,
ils n’avaient pas un contremaitre sur le dos qui les ratatinaient. Ils lambinaient,
ils laissaient trainer leurs doigts, leurs moustaches, leurs stratagèmes sur la
peau des femmes. Ils ralentissaient le temps, dépiautaient chaque minute pour
en faire une éternité de frissons. »
« « Il faut prendre le
temps, sinon c’est le temps qui vous prend », disait ma grand-mère
bohémienne. J’ai tout mon temps. C’est mon luxe, ma richesse, le temps. Et j’en
abuse. Je m’en fais des bagues et des parures. Je m’y prélasse comme dans un
hamac. Je me remplis de temps à perdre, de temps à méditer. Plus je prends mon
temps, plus je me remplis de sons, de couleurs, d’émotions, de safran, de
piments. Un couple de vieux alcoolos qui picolent sans se regarder, un chien
qui gémit comme s’il voulait parler, une petite fille qui tire la langue à un
petit garçon dans l’autobus puis remonte sa jupe… J’ai un grand crayon, un
grand carnet dans la tête et je baguenaude en notant tous ces détails qui
réapparaitront un jour prochain dans un livre, sans que je sache comment, sans
que je sache pourquoi. »
Il s’agit toujours de savoir expliquer en ayant l’apparente confiance en soi. Il s’agit toujours de s’exprimer clairement et sans détours, de dire où les choses en sont, sans tricher, mais sur le ton de l’exactitude, de la certitude de savoir où l’on va ; expliquer simplement que j’ai besoin de temps, que je n’ai pas concrètement avancé, mais que la direction de mon travail est donnée. Même si je n’ai pas confiance en moi. Même si je le dis toujours en serrant les dents pour ne pas pleurer. Même si je me demande toujours comment les autres font, pour tenir, pour avancer sans se casser la figure, pour ne pas grimacer, pour ne pas se briser au moindre mot. Et c’est vrai pour tout, tu sais, pour le boulot mais pour le reste aussi. Tu sais quand tu me dis que je suis belle, tiens je vais la citer encore*, parce que vraiment, vraiment ses mots me collent à la peau, même si, je te rassure, je ne saute pas sur d’autres parce que toi.
« Quand il m’offre une robe sublime, décolletée jusqu’aux reins
pour me prouver que je suis belle, que je peux la porter sans avoir honte, je
pleure devant la robe étalée sur le lit et refuse de l’enfiler… Quand il me dit
qu’il m’aime, que je suis le moteur de sa vie, qu’il veut m’épouser, me faire
un enfant, deux enfants, je me dis que c’est là, surement, la seule faiblesse
de cet homme si intelligent… Quand mon premier roman est sorti et que ses
ventes ont explosé, je lui ai demandé c’est toi qui les achète tous, n’est ce
pas ? C’est toi… Il m’a regardée comme si j’étais folle. Et quand ma photo
paraissait dans les journaux avec des articles élogieux, je ne les achetais
pas. C’était lui encore qui me les mettait sous le nez en disant « lis,
mais lis donc ! Cesse de douter ! » Moi aussi, je suis
comme un lapin qui se trouve nez à nez avec un python. Et si je n’avais pas le
regard de Simon qui me porte tout le temps, qui me dit vas-y, tu es belle, tu
es intelligente, tu es douée, n’aie pas peur, écris… je n’aurais jamais écrit
une seule ligne de ma vie… Et pire, je n’aurais jamais lâché sa main pour celle
d’un autre homme… C’est lui qui me donne la force, l’assurance, l’insouciance
nécessaires pour me jeter à la tête d’hommes qui ne le valent pas, qui ne
valent pas un clou de ses semelles… Je teste auprès d’autres le pouvoir
merveilleux que me donne son amour. Je vérifie s’il a raison. Et quand ces
autres me disent, tu es belle, je t’aime, alors ceux-là, je les crois… Même s’ils
sont indignes… »
*Embrassez-moi, Katherine Pancol, éd. Albin Michel, coll. Le livre de poche, 2003
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