Je n’écrirai plus. La blague. Comme si c’était possible. Je peux apprendre à maîtriser différemment. Je peux projeter mon histoire sur d’autres. Je peux devenir quelqu’un d’autre en m’écrivant. Je peux m’inventer, me réinventer, et c’est infini. C’est une drogue comme une autre, sans doute. Peut être pas moins nocive.
Il ressemble à un gentil grand père, un guide de haute montagne que je vais emmener dans les montagnes russes de mon passé. Il n’a jamais dit que ça serait facile. Il a simplement dit que j’avais déjà fait pas mal de chemin. Que j’étais déjà sur une voie, même si elle était loin d’être directe. Il m’a dit je veux bien vous aider à transformer la colère.
Voilà. Les choses ne sont pas simples. Je veux dire, nommer. Décrire. Expliquer. Trouver les bons mots. A l’écrit ça coule tout seul. A l’écrit j’ai pas besoin de réfléchir, parce que peu importe que ça soit vraiment, vraiment juste. A l’écrit on peut caricaturer, dénaturer, transformer. Ca continue de sonner, alors que quand on parle, quand les choses sortent de ma bouche, ça vient du ventre. Ca doit venir du ventre, de l’intérieur, ça doit résonner, ça doit être au plus juste.
C’est épuisant, de chercher à comprendre. De trouver les clés. De les donner aussi, parfois. J’ai pas vraiment une haute opinion de moi. Quand je dis je mérite mieux, je veux surtout dire j’ai pas choisi mon histoire. Quand je blesse, c’est pour dire regarde moi, j’existe, je suis là, et j’ai besoin que tu me serres contre toi.
Il m’a dit vous êtes tombée sur un salop, j’ai répondu mais maintenant dans mon univers tous les hommes sont des salops. Il a changé pour toujours l’image que je pouvais avoir de moi-même, je suis encore et toujours la pute qu’il a dite. Et j’en veux à tous les hommes du monde pour ça, je dis que je mérite mieux c’est : je ne suis pas ça, je ne suis pas ce qu’il a dit, je ne suis rien de tout ça. Je mérite mieux que de me considérer comme telle. C’est pas de la prétention. C’est un cri. C’est un appel à l’aide. Montre-moi autre chose de moi-même, aide-moi à me voir autrement, aide-moi à supplanter cette image-là. Je mérite mieux.
J’ai mal dormi. Je dors mal depuis des jours. D’un sommeil agité, dans des rêves où j’ai perpétuellement peur. Je me suis accrochée à lui, collée contre son corps. Je ne voulais rien, simplement m’enfoncer un peu plus entre ses bras, sentir sa chaleur m’envelopper. Me sentir en sécurité. Retourner loin dans l’enfance, retourner loin où l’on ne m’a pas lu d’histoires pour m’endormir.
J’essaie de manger. D’ingurgiter quelque chose. Je suis vidée, retournée de l’intérieur. Je ne déclarerai pas forfait, non, pas cette fois. J’irai pas me noyer sous le travail, j’ai dit j’arrête la fuite, cette fois, je l’ai dit.*
Oh merde j’étais même en train de penser à ce qu’il faut faire, vous savez, pour publier. Pour finir par être le stupide auteur d’un bouquin sans succès. Pour devenir Bret Easton Ellis et être celui qui se vomit le plus à la gueule. Ca, ok, ça, c’est de la prétention. C’est même carrément mégalo. Je plane un peu, même mon urine commence à sentir le café. Je crois qu’il faut que j’arrête. J’ferais mieux de bouffer des asperges, ça pue pareil mais c’est meilleur pour mon ptit organisme, hein, pas vrai ? J’allais me remettre à faire une liste, parce que bon, il est 16h, je mate californication, et putain elle est architecte et j’aimerais bien être à la fois elle et lui. Faire des listes c’est remettre de l’ordre. C’est faire comme toujours, revenir au stable, à l’organisé, au rationnel. Il parait que j’ai les pieds sur terre, bon dieu, ils me répètent ça, toujours. Je fais une pause là, une pause d’irrationnel, de désorganisé, de désespéré. Une pause, je me laisse l’occasion de péter les plombs, vraiment, de partir en vrille, de pas me lever le matin, de boire du café et de rien bouffer. What the fuck, j’vais finir bilingue à m’envoyer toutes ces VO. Le français c’est riche, mais l’anglais ça sonne quand même, vraiment, ça envoie. J’ai presque envie de parler uniquement en anglais pour toujours, et d’écrire en français, parce que merde, c’est quand même l’une des plus belles langues dans la littérature. Allez quoi, je me complais pas. Justement. Ca me fait du bien. De lâcher prise. De me laisser perdre un peu le contrôle. Je connais mes limites. Y’a un safeword, y’a une clé, vous en faites pas pour moi. Je suis pas en train de m’envoyer en l’air.
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