Après avoir fait le tour du répertoire, y’a personne avec qui j’aie envie de tromper l’ennui ce soir. Ou bien si, mais bon. Quand les chiffres sont écrits en rouge avec un – devant, ça veut dire qu’il faut oublier les codes quelques temps. Ou bien trouver encore un job, mais la course au temps.

Je me suis interdit cette seule bouteille. Parce qu’on lui jettera un sort avec un ptit diner, quand on sera repassé au vert. Mais j’irai bien boire quelques verres, en terrasse, pour l’ivresse. Pour m’échapper un peu. Regarder les filles aux sourires faciles, aux lèvres entrouvertes et aux jupes courtes. Observer leur interminable course à la séduction. Mais boire seule, vu de loin, ça a l’air triste. Alors autant laisser tomber, je prête toujours trop d’importance au qu’en dira t’on.

Tu vois, rien ne change vraiment. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Même si l’autre, il dit que je suis dans une phase de changement dans ma vie. Faire place nette pour reconstruire, il y a quelque chose de cet ordre, sans doute. L’idée c’est juste de se ressaisir de l’existence, et d’en choisir un peu la direction, histoire de changer. Ouais parce que, jusque là, c’est juste une suite d’évènements, une énumération assez dingue d’éléments difficiles à fuir. Il va bien falloir qu’un jour ou l’autre.

Tu t’es glissé entre mes draps, dans un soupir je me suis ventousée contre ton corps ; me voilà donc poulpe, puisque tu remplaces Budd qui veillait sur ma nuit bavouillante. Je lui ai parlé de toi. J’avais pas pris conscience, avant, que ça pouvait devenir un peu important. Que c’était pas vraiment l’avenir qui comptait, mais qu’en étant ancré dans l’ici et le maintenant, on avait aussi une certaine importance.

J’apprends à respecter ton envie d’ailleurs, tu sais. J’apprends même à aimer ça, à ne plus vouloir que tu m’appartiennes. Tu sais, c’est aussi ça qui m’a séduite. Je veux dire, le premier jour. Ton indépendance. Ta fierté. Ta fausse liberté, qui sonne un peu moins faux que la mienne. Elle m’a séduite parce qu’elle résonnait comme un défi. Aujourd’hui j’apprends à cesser de vouloir triompher d’elle ; à en profiter, même. A me l’accaparer un peu ; tu vois, c’est pour ça que je dis que tu me rends plus libre : tu m’apprends, malgré toi, à stopper les jeux d’appartenance, ne plus vouloir posséder, mais désirer partager. Tu m’obliges à me surpasser, en fait ; à vouloir toujours être mieux, plus, plus forte, plus intelligente, plus cultivée, plus drôle. Tu me donnes envie d’être meilleure ; tu me donnes à la fois l’ambition et l’humilité. J’te parlerai pas d’amour. On ne parle pas de ces choses là, non. Oui, je suis un peu prude. On essaiera, si tu veux, de parler du plaisir. Ca ne sera pas simple, tu sais. Le désir est déjà difficile à assumer, le plaisir est sans doute l’étape suivante. Mais je veux essayer. Parce que. C’est un peu plus intense, non ? Je veux dire, ce qui nous lie, c’est plus intense. Plus respectueux, je crois. Quand tu t’invites à l’improviste et que t’essaies de me dire tout ce que tu ne m’avais jamais dit. T’avais dit on a un passé ; il est ce qu’il est, mais on a un passé. Oui. Mais entre ce temps là, on a dû grandir, un peu. Je ne sais pas bien où sont passées nos vieilles rancoeurs. Tu sais, il y avait toujours ce truc, là. Une sorte d’attente et puis une sorte de fuite. Comme des aimants, tu vois, qui s’attirent, se repoussent, se collent, se détestent. Je sais pas trop où c’est passé, tout ça. J’en sais trop rien. T’es peut être en train de céder à la pression familiale, et puis un jour tu vas exploser. Je suis peut être en train de me perdre, peut être en train de changer en mieux, peut être en train d’égarer du temps.

On verra bien. 

Mais tu vois, quand je suis pas sombre et méchante, quand je balance pas du moche et du trash, j'deviens insipide. J'veux pas que tu voies ça.