Y’a plus de place aux utopies, on dirait bien. Au hasard d’un prof aux dents noires croisé dans le train, au hasard d’un de ces types qui devraient, justement, croire qu’on peut faire changer les choses, bah en fait, rien. Rien, le vide de sa future voiture je ne sais combien de chevaux, faut voir, le mec. Gentil, cela dit. Gentil. Mais c’est son rôle à lui aussi, d’y croire. Même s’il aime les tigres et les lions. Si ces gars là ils croient en rien, c’est normal.
Tu vois, il m’avait dit que je lui avais brisé le cœur. Il m’avait
dit que je l’avais rendu malheureux, que je lui avais fait mal. Il a versé des
larmes sur notre histoire, et il passe, déjà, déjà à autre chose. Je ne suis
pas jalouse, j’ai ma propre vie, mes propres bonheurs maintenant, mais je
constate le décalage. Je suis ravie pour lui, réellement. Simplement, on ne dit
pas être à six pieds sous terre quand deux mois plus tard on se relance dans
une nouvelle aventure. Parce que, là, on ne peut plus être pris au sérieux.
Tout n’est pas un drame. Une histoire ratée n’est pas forcément un échec ni une
mise à mort. C’est simplement une rature, un nœud de plus sur le fil. Peut être
que j’avais pas l’air suffisamment en deuil de notre tentative, j’en sais rien ;
mais j’étais sincère. Ca n’a pas marché, je suis passée à autre chose ou plutôt
j’y suis revenue, voilà. Je ne lui ai pas dit, parce que ça ne me semble pas
important dans le rapport qu’on entretient l’un à l’autre. Merci d'aller bien, quand même. Ca m'évite cette sensation de tout détruire sur mon passage ; ça me permet, pour cette fois, de me dire que je n'ai rien brisé.
Ca ne me sert à rien, une guerre virtuelle. Chacun campe sur ses positions et juge du haut de son personnage celui de l’autre. C’est pas des personnes, ici. C’est des personnages. C’est des vies imaginaires nourries au réel, qui tètent la vie de ceux qui les alimentent. C’est des extrêmes de ce qu’on aurait voulu ou non être. Ca rime à rien, de régler ses comptes ici, dans nos univers exacerbés.
J’ai plus rien à écrire, en fait. Il ne claque pas des doigts, et pourtant il est là. Comme un filet de sécurité, tu vois, juste là, quand il faut, pour que je ne me blesse pas. Et inversement, je crois. Ca me convient.
J’ai plus rien à écrire parce que j’ai trouvé un équilibre, et qu’il ne me parait pas tellement précaire, pour une fois. Ici, c’est nourri de mes colères et de mes peurs, c’est nourri de vengeance et d’envies de tuer. Ici, c’est nourri du passé qui déborde au présent et à l’avenir. C’est nourri des doutes et des désespoirs, c’est nourri du trop plein. Y’a pas de trop plein. Je suis bien, bien en vie. Il suffisait d’en rire. D’arrêter de la prendre au sérieux, cette vie là. Jveux bien mourir d’amour, mourir de rire, mais surtout pas mourir d’horreur. Jvoudrais pas mourir d’avoir passé ma vie à l’attendre, jvoudrais pas mourir d’avoir dépensé ma vie à ne pas la saisir.
Et ce soir, c’est moi qui claque des doigts. Chacun son tour.
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