On croit toujours que ça va être difficile. Mais moi, j’suis pas douée pour les contacts humains. Vraiment pas. Alors j’sais pas si c’est vraiment difficile ou si c’est très simple, en fait.

J’aime pas qu’on me touche. Je déteste ça même. Il y a mon espace et il y a le vôtre, là, celui de tous les autres. J’aime pas « faire la bise », rituel débile et sans intérêt – on s’approche, on se donne des coups de joue ou de lunettes, ou alors y’a pire, y’a ceux qui s’appliquent à vraiment déposer un baiser sur votre peau. Moi j’aime embrasser mes amis, je veux dire, les serrer dans mes bras. Les serrer contre mon cœur, en quelque sorte. Mais faire la bise à tout le monde et personne, c’est absurde. Je le vis toujours comme une agression, une intrusion non désirée dans mon propre espace vital. Pourtant, elle, c’était pas pareil. Ça voulait dire à la fois je suis heureuse de te voir, et j’espère que tu vas bien. Tout ça, sans un mot. Alors à côté de ça, y’a l’autre qui nous a fait sa pantomime. Ouais, c’est cool, mais tu te discrédites un peu là. Tu vois j’te dis même tu – bon, effectivement, dans le réel, jsuis bien trop pétrie d’éducation ‘classique’ (c’est sans doute pas le bon mot, mais vous voyez) pour le faire – alors que j’m’attendais à revenir les yeux grands ouverts en pensant à madame l’architecte. Dommage.

Y’a l’autre intrigant là. Celui qui me regarde les yeux grands ouverts après sa cuite de la veille. Non, sérieusement, j’hallucine pas là. Il est un peu rigolo, je crois. Je ne lui ai jamais dit un seul mot. J’aime bien qu’il soit assis là sur son banc pendant que nos chiens se marrent. J’me demandais ce qui poussait les gens à revenir chaque matin à la même heure et au même endroit. J’crois que j’en tiens un bout d’explication. Même si moi, c’est pas pareil. Je me suis juste habituée à cette présence là. Je lui invente mille vies. Il a l’air d’être ouvert. Il a des piercings plein le visage, et pourtant ça ne parvient pas m’éviter d’évoquer une certaine douceur quand je l’observe. J’me demande ce qu’il fait de son temps, quand il se lève et part assez vite je ne sais où. J’imagine que c’est un mec brillant. Mais bon, ça, c’est mon problème à moi. J’ai besoin d’imaginer que les gens sont brillants. J’ai besoin qu’ils le soient. Pour projeter, je veux dire. Et pourtant y’a des jours où je le vois juste comme un branleur qui ne fait rien de sa vie. Qu’a rien de mieux à faire que d’être là à fumer ses clopes sur un banc en regardant son chien.