1er avril
Alors alors… Ouais, c’est clair que c’est décousu ton mail,
du coup j’sais toujours pas par où commencer, définitivement ça va devenir une
habitude !
Moi, j’suis droguée à l’idéal. Je ne peux pas ressentir sans excès, et je ne
connais pas la demie mesure. C’est tout ou rien. Je vis passionnément, tout le
temps, pour tout, mon boulot, mes amis, mes relations. Je ne sais pas me donner
à moitié.
Je ne suis ni célibataire ni en couple, depuis toujours, je crois. Je ne vis
que dans l’instant, à saisir des morceaux choisis du présent. Toi tu bouges aux
quatre coins du monde, moi je fais du quotidien un voyage perpétuel ; j’ai
besoin de donner à tout, tout le temps, cette intensité. Je m’invente un
milliard de possibles à partir d’un rien, et je me plais à semer des embryons
d’histoires. J’accumule des débuts, parce que dans ces instants là où rien
n’est achevé, décidé, acté, je me trouve délicieusement balancée d’un futur à
l’autre, au croisement d’un tas de directions possibles. Je passe en un instant
à l’envie de n’être rien pour quelqu’un à celle d’être tout, parce que je ressens
à la fois le besoin d’être profondément libre et celui de partager vraiment.
Oui, c’est ça je crois, je ne vis que des débuts. J’supporte pas de laisser les
choses se faner, de voir mon filtre à idéal se fissurer dans le confort des
habitudes, et puis j’aime un peu trop mon boulot. Ouais, j’suis bourrée de
défauts et d’incohérences, j’suis excessive en tout, incapable de concevoir une
relation avec quelqu’un autrement que comme un feu d’artifices permanent, et
pourtant dans le même temps je suis maniaque, méthodique, solitaire,
rationnelle et trop organisée. Mais je commence à maîtriser un savant mélange
de tout ça, et je le vis plutôt bien, c’est sans doute ce qui compte.
Bon, mais tout ça pour dire, je t’embrasse, on se donne des news, tout ça.
Bisous.
2 avril
J’commence toujours à t’écrire des trucs que j’envoie
jamais.
J’écris encore. C’est pas une question d’insistance. Juste que c’est mon moyen
de communication à moi, pour ce qui compte, justement. Quand ça touche à
l’intime, au fondamental, je ne sais pas dire. Et l’autre matin entre tes bras
j’aurais aimé, pourtant.
Le jeudi soir, on a fêté un départ au champagne à l’agence, et j’arrivais pas à
garder le sourire, et j’ai pensé à toi. Et puis le même jour, j’ai eu ma petite
maman au téléphone, et elle m’a dit ma chérie tu travailles trop, et du coup
t’as toujours personne dans ta vie, pas vrai ? Alors, aussi improbable que ça
puisse paraître vu l’absence totale de discussion avec elle sur ma vie privée,
je lui ai pourtant dit j’ai rencontré quelqu’un, j’ai rencontré quelqu’un mais
il part, tout ça c’est toujours qu’une question de timing.
En fait, j’t’ai dans la peau. Merde, trois jours, trois nuits, trois petits
matins devenus doux. Oui, seulement ça. Rien que ça. Et je t’ai là sous la
peau. Je parlais d’instantanés photographiques et puis c’est pas seulement ça,
c’est bien plus. Oui, tu le disais, c’est rare de se sentir aussi tactilement,
sensuellement à l’aise avec quelqu’un. Le truc c’est qu’il y avait aussi plus
que ça dans nos étreintes, plus que le corps, plus que l’alchimie des chairs.
Il y avait tout ce qu’on ne sait pas encore l’un de l’autre et tout ce qui
s’évanouit dans ton départ, pas vrai. Même si comme une dingue égoïste
romantique que je suis, comme la fille mignonne et à triple fond que je serais
d’après d’autres, je t’ai proposé de te rejoindre. Et tu m’as répondu
rationnellement, ne viens pas rejoindre quelqu’un que tu ne connais pas dans un
endroit que tu ne connais pas à l’autre bout du monde.
Et si je l’entends bien, et si dans un sens c’est ce que je voulais que tu
répondes, et si comme je te l’ai dit je ne suis jamais vraiment ni célibataire
ni en couple, après toi j’vois ces types insipides qui gravitent autour de moi
et ça m’ferait vomir. Alors tu m’diras, tu dis ça sous le coup, c’est encore
tout frais, tout ça. Oui, p’t’être bien. Mais quand même. J’me connais assez,
je sais qu’il y a les gens qu’on laisse filer sans regret, juste en regardant
la bande originale des souvenirs qu’on s’est fabriqué, et qu’il y a les autres.
Tu vois, ça craint. Je crains. J’aime pas faire ma midinette option sensiblerie
à outrance.
Et puis que je t’écrive tout ça ne change rien. Mais puisqu’on s’est dit on
reste en contact tout ça… et j’veux pas te jouer la comédie de la fille qui
s’en fout puisque c’est pas vrai.
De toute façon, je comprends un peu trop cette envie de partir et d’être sans
attaches, et je ne cherche surtout pas à t’accabler de tout ça avec mes
sentiments inopinés. Parce que simplement, j’m’attendais pas à toi,
j’m’attendais pas à ça, et voilà tout.
J’espère que t’auras bien fêté ton départ, même si c’est pas simple, de fêter
l’absence.
Allez, à bientôt.
Des bisous,
6 avril
T’es à l’autre bout du monde, cette fois. Ca y est, parti sur un autre point du globe, avec le temps en décalage, nos vies qui se continuent, tout ça. J’sais juste que t’es vivant, j’sais pas si t’es heureux, j’imagine que tout est nouveau et forcément excitant. Sans penser à une suite j’essaie de m’inventer une autre histoire, un autre avenir, mais j’reviens toujours à l’instant où toi tu reviendras, et j’me dis qu’à ce moment là… Ouais, faut que j’arrête de projeter, de m’imaginer, de te voir dans chaque visage que je croise. Que j’arrête de trouver tous ces autres insipides, vains et sans intérêt. J’voudrais que tu arrêtes d’être mon exception, même si.
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